Mano Solo, artiste enragé

dim, 07/10/2011 - 18:18

De La Marmaille nue (1993) à Rentrer au port (2009), de son groupe Les Frères Misère à Mano en solo, du studio à la scène, le chanteur à la grande gueule et au chapeau, qui nous a quitté au  début de l’année  2010, aura  fait naître dix  disques, et des  milliers de souvenirs pour  tous ceux qui auront crié avec  lui en live la révolution,  chacun la sienne, à l’intérieur. Mano Solo, c’est donc seize ans de carrière, de râlage et de partage. C’est aussi le paradoxe, la contradiction permanente. Entre la nostalgie de ses écrits et sa volonté affichée d’aller toujours de l’avant, entre, parfois, la noirceur de ses mots et la gaieté de la musique qui les porte, entre colère et tendresse, toujours.

Il y a le Mano généreux, qui se livre tout entier sur ses disques, sur scène, et il y a le Mano intransigeant, qui houspille son public lorsqu’il estime que le retour n’est pas à la hauteur de ce qu’il donne. Car si la direction musicale de sa discographie a évolué au fil des années, on y retrouve une constante : son amour des gens, et sa colère aussi, envers ces mêmes gens. Colère quand ils choisissent la facilité, la médiocrité, l’immobilisme. La déception est sans appel. Une exigeance qu’il applique évidemment d’abord à lui-même. Les nuances de gris sont difficilement perceptibles chez Mano Solo, tant dans son œuvre musicale que picturale et littéraire (le chanteur, peintre et écrivain à ses heures, a toujours illustré lui-même ses propres pochettes de disques, et a également publié un roman et un recueil de poèmes).

Le plus grand paradoxe, le plus incompréhensible aussi, c’est l’image qu’on lui donne, les médias, les critiques, ceux qui sont autorisés à coller des étiquettes et à dresser des portraits immuables. Car les préjugés ont la peau dure : chanteur geignard, déprimé et déprimant… Ceux-là qui le réduisent à un univers glauque et plaintif n’ont sans doute jamais pris la peine d’écouter ses chansons. Car Mano Solo c’est exactement tout le contraire : la force, la vie, l’envie. Alors oui, la mort, omniprésente et obsédante chez l’artiste, fait partie intégrante de son œuvre, mais c’est pour mieux la défier. Et, oui, la maladie (parlons-en puisque le malentendu vient de là), qu’on l’a accusé d’utiliser. Pour publicité ? Il y a sans doute plus vendeur qu’un visage émacié et qu’une maladie qui fait peur. Mais il aura suffi d’une seule et unique fois pourtant, dans son tout premier album, pour que bien souvent l’œuvre et le personnage de Mano Solo soient réduits à ça. Dans « C’est pas du gâteau », il lâche le mot, celui qui fera couler l’encre de quelques journalistes en mal de papiers à sensations : à propos de son désir d’enfants, il chante « Même si j’gagne pas ma vie, et même si j’ai l’sida, moi ça me coupe pas l’envie, moi j’me dis : ouais, pourquoi pas ! ».  Des paroles à l’opposé de l’apitoiement, donc. Et quand bien même les premiers albums (La Marmaille nue, Les Années sombres (1995), Je sais pas trop (1997)) sont effectivement assez sombres, avec l’omniprésence du thème de la mort (« Je suis venu vous voir », « Le Monde entier », « Toujours quand tu dors ») du temps qui passe (« J’me souviens de rien », « Mes amis d’enfance »), et de la difficulté d’aimer (« Je marche seul », « Quand tu me diras »), ils ne le sont jamais gratuitement. Et laissent toujours percevoir l’espoir, et plus que l’espoir, la volonté de se battre. Car après tout, « dans la vie, c’ qui compte c’est pas l’issue mais c’est le combat » . On peut effectivement chialer un bon coup en écoutant Mano Solo, mais c’est pour mieux repartir la rage au ventre, prêt à bouffer le monde.

Et pour ceux qui ne seraient toujours pas convaincus, il suffit de prendre sa discographie à partir de son quatrième album solo, Dehors (2000). Apaisés, les textes du chanteur se font plus légers, dressent des tableaux, racontent des histoires (et non plus ses histoires). Parfois joyeuses (« Je trace ma route », « Là-bas »), parfois drôles et cocasses (« Canal du Midi »), parfois juste poétiques (« Les Gitans »). Et les disques suivants creuseront cette veine de chanson réaliste, avec un album écrit au départ pour Juliette Gréco (Les Animals, 2004), un album auto-produit (In the Garden en 2007, pour voir si les artistes avaient encore besoin des maisons de disques !), et le petit dernier, Rentrer au Port.

Techniquement parlant, Mano Solo n’est probablement pas un immense guitariste, sans doute pas non plus le plus grand chanteur du monde, mais il est l’incarnation du sale gosse gouailleur et revanchard, écorché, souvent énervé, avec une générosité et une authenticité rares. Il hurle ses malheurs comme ses joies, déballe ses tripes, vomit ses angoisses, balance sa sincérité à la face du monde. Et nous donne à vivre au travers de son œuvre des expériences un peu particulières, car un album de Mano Solo ne s’écoute pas, il s’éprouve.

Il va nous manquer.

 

Joanne 

 

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